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"Les CPE, au cœur de la vie scolaire" : un article de Sciences humaines"

jeudi 9 décembre 2021, par Stéphane GOUDET

Hélèbe Frouard a consacré un article à notre profession dans le mensuel ’sciences huamaines de décembre 2021. Les conseillers principaux d’éducation sont mal connus. Descendants du surveillant général, ils sont pourtant un pivot de la vie des collèges et lycées. Sciences Humaines est allé dans un collège de Seine-Saint-Denis découvrir ce métier. Un reprtage vidéo, un article actuel consacré à notre métier !

Mal à l’aise, les trois collégiens ont les yeux baissés. Leur enseignante de français est furieuse. « Ce n’est pas parce que je suis nouvelle que vous devez vous comporter de cette façon. » « De quelle façon ? » tente l’un des trois. « Vous vous levez en cours sans permission et vous vous adressez à moi de façon insolente. On ne peut pas travailler dans ces conditions. » Assise à son bureau, la conseillère principale d’éducation prend le relais : « On s’est dit que vous étiez des jeunes gens raisonnables. Alors on ne va pas partir immédiatement sur des sanctions. Mais il faut que vous vous comportiez autrement. » Elle, c’est la conseillère principale d’éducation, Gwenaëlle. Elle nous accueille ce lundi matin dans un collège de Seine-Saint-Denis. Un établissement de 600 élèves, « ni facile ni difficile, plutôt hétérogène », selon ses propres mots.

Un rôle pivot

11 heures. Gwenaëlle part rejoindre le chef d’établissement pour une rencontre délicate avec une famille : leur enfant, victime de harcèlement dans son ancien collège, vient d’arriver dans l’établissement. Dans la salle des profs, à l’étage, deux enseignantes de français bavardent devant leur ordinateur. L’une d’elles accepte de parler du rôle de la CPE : « C’est un pilier de l’établissement ! Elle est notre interlocutrice privilégiée pour tous les problèmes qu’on a en classe. Elle connaît très bien les familles, les élèves. Elle permet aussi d’éviter les confrontations frontales et de dénouer les conflits. » Retour au rez-de-chaussée auprès de Gwenaëlle, qui a terminé son entretien. « Nous avons peu de problèmes de violence physique », explique-t-elle. En revanche, « le gros problème actuel, c’est le cyberharcèlement. Dans 15 jours d’ailleurs j’organise l’intervention d’un éducateur et d’une sociologue, sur les “relations entre pairs”, une manière pudique de parler des rapports entre filles et garçons. Ces tensions liées à l’usage des réseaux se sont accrues depuis une dizaine d’années, et encore plus depuis le confinement. Beaucoup de conflits y prennent leur racine. » Comment a-t-elle connaissance de ces harcèlements qui se déroulent dans le secret des téléphones portables des élèves ? « C’est grâce au lien de confiance que nous avons établi avec les élèves. Et les assistants d’éducation nous font remonter les problèmes. Par chance, j’ai une équipe très compétente. » Cette équipe de « pions » qu’elle chapeaute « est indispensable ». Elle connaît d’autant mieux leur métier qu’elle l’a elle-même exercé lorsqu’elle était jeune, comme de nombreux CPE. Le conseiller principal d’éducation serait-il alors le responsable de l’autorité au collège ?

De l’autorité sans autoritarisme

L’historienne Christine Focqueroy-Simonnet, dont l’ouvrage Les Surveillants généraux (1847-1973). Entre figures littéraires et profils historiques vient de paraître aux Presses universitaires du Septentrion, éclaire cette dimension en revenant sur la genèse de cette profession spécifiquement française. « Dès la structuration de notre enseignement secondaire par Napoléon, explique-t-elle au téléphone, on a distingué instruction et éducation : d’un côté, des enseignants dispensent leur savoir du haut de leur chaire. De l’autre, le surveillant général, qui dirige les maîtres d’étude, assure la discipline. Cet ancêtre du CPE né officiellement en 1847 gère deux dimensions essentielles de l’enseignement secondaire du 19e siècle, l’internat et les études. » Un mot d’ordre pour ce « surgé » : assurer l’ordre en se faisant craindre des élèves. Les documents d’archives analysés par l’historienne en attestent : « Par exemple, une surveillante générale modèle pour l’administration, se voit reprocher, encore en 1943, d’être trop aimée par les élèves. » Les représentations du surveillant général, de Jules Vallès à Cabu, dessinent un profil homogène de garde-chiourme, « le personnage historique apparaissant plus nuancé », précise l’historienne. Dans les années 1950-1960, le refus de l’autoritarisme, la massification de l’enseignement, les courants d’éducation nouvelle, l’effervescence associative et la mobilisation des surveillants généraux eux-mêmes ont eu raison de cette orientation. En 1970, le surveillant général laisse place au conseiller principal d’éducation. Désormais le rôle de surveillance s’exerce bien différemment : « Je suis une figure d’autorité, mais il s’agit de le faire avec intelligence, précise Gwenaëlle. Par exemple, si nous prononçons une exclusion, il faut que ça ait un sens, qu’on en parle avec l’élève. Sinon quand il revient le lendemain ou huit jours plus tard, la situation n’a pas changé. »

Le tournant de 1970 a ainsi mis l’accent sur la dimension de conseil – d’où l’appellation « conseiller principal d’éducation ». Conseil pour les enseignants, pour l’équipe de direction, mais aussi pour les élèves : « J’en vois qui viennent deux, trois fois par jour pour me poser une question. Je sais bien dans ce cas que ce n’est pas la question qui compte, c’est le contact. Mais il faut faire attention à ne pas rentrer dans l‘affectif, et à toujours travailler avec les parents. » Des parents d’ailleurs qui la sollicitent de plus en plus : « Autrefois, ce qui se passait à la maison restait à la maison. Aujourd’hui certains parents sont dépassés par les problèmes des ados, et me demandent de l’aide. » Gwenaëlle précise immédiatement : « Mais je suis aussi là pour les élèves qui vont bien. » Organiser les élections des délégués de classe, construire avec une association locale un temps d’accueil pour faire les devoirs, ou encore porter avec les élèves volontaires un projet d’écodéveloppement, « les élèves sont en demande, mais je n’ai malheureusement pas le temps d’y passer autant de temps que je le voudrais ». Et encore, « il y a des collèges disons… plus compliqués, où on travaille dans l’urgence au quotidien sans avoir le temps de faire du travail de fond. Ce n’est pas mon cas ici. » Elle est d’ailleurs fière du label « écodéveloppement » qui a été accordé, suite à cette mobilisation. Enfin, elle gère aussi des difficultés sociales : « Pendant le confinement par exemple, nous avons organisé des paniers-repas, que les élèves venaient chercher. C’était pour certains le seul repas de la journée. »

Un métier multitâche

Pour Maeva Bismuth, CPE et représentante syndicale du Snes-FSU, contactée par téléphone, cette polyvalence du métier en fait à la fois la richesse et la vulnérabilité : « Quand il manque des personnels (direction, infirmière, assistante sociale, etc.), c’est le CPE qui fait tampon, dans un contexte où les effectifs d’élèves ne cessent d’augmenter. Mais cela se fait au détriment de ses missions et de son cœur de métier, à savoir le suivi des élèves. » Ce qui peut brouiller l’identité professionnelle du CPE : « Avec la multiplication des tâches administratives et l’évolution des politiques éducatives, il pourrait être tentant d’associer le CPE à l’équipe de direction, qu’il conseille. Pourtant le CPE appartient bien à l’équipe pédagogique. » Comme les enseignants, les CPE se forment en effet en suivant un master « Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation » (MEEF). Leur concours est même l’un des plus difficiles de l’enseignement secondaire. En 2021, seul 1 candidat sur 20 avait réussi (1 sur 10 si on ne compte que les candidats s’étant effectivement présentés aux épreuves).

Clotilde Noizillier, présidente de l’Association nationale des CPE, jointe elle aussi par téléphone, est plus nuancée sur le danger de ce glissement. « Certains CPE en poste ne sont pas opposés au fait d’appartenir à l’équipe de direction que nous disons “élargie”, explique-t-elle. Ils y voient une opportunité de gagner en compétences. » Elle souligne que le changement vers un poste de direction est d’ailleurs une des rares évolutions de carrière possibles pour les CPE. Et précise : « En raison de la multiplicité des tâches quotidiennes, variables d’un établissement à l’autre, pas un seul CPE en poste n’exerce au fond le même métier, ce qui génère une richesse de pratiques professionnelles à ne pas négliger et à valoriser. »

Il est midi. Gwenaëlle a disparu. Elle revient un moment plus tard, le visage fermé. « Un problème avec un de nos élèves », dit-elle rapidement, sans entrer dans les détails. Un signalement a été fait en urgence. Ses dix-huit années d’expérience l’aident-elles à affronter ces situations ? « Quand il y a des moments difficiles, ça me poursuit lorsque je rentre chez moi. J’ai besoin d’en parler. La dernière fois, c’était l’un de nos élèves qui s’est retrouvé à la rue. On lui a trouvé un hébergement d’urgence. Mais le soir je l’imaginais seul dans le foyer, c’est dur. »

Gwenaëlle se remet à son bureau. Elle prend son téléphone pour confirmer avec une maman un rendez-vous prévu l’après-midi, suite aux difficultés de comportement d’un élève : « Nous voulons mettre en place avec lui une fiche de suivi pour l’aider à reprendre pied et ça se fait avec la famille. » Le téléphone sonne dans le vide. « Elle ne viendra pas », conclut Gwenaëlle. Le créneau horaire qui vient de se libérer servira à écluser les dossiers entassés sur le bureau. Mais déjà un élève s’approche. Sur la porte, il peut y lire ces mots qui résument poétiquement le rôle de ce lieu si particulier : « Bureau de la vie scolaire ».

Source : Hélène Frouard, Mensuel N° 342 - Décembre 2021, article mis à jour le 26/11/2021