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La sanction en éducation

vendredi 29 novembre 2019, par Stéphane GOUDET

Peut-on étudier les sanctions en éducation au niveau mondial ? C’est l’objectif du dernier numéro de la revue internationale d’éducation de Sèvres. En apparence oui : la revue nous emmène dans 9 pays : Burkina Faso, Bénin, Japon, Russie, France, Algérie, Angleterre , Etats-Unis et Québec. Mais en réalité, la notion de sanction n’est plus un objet assumé d’étude en Europe du Nord et aux Etats-Unis. Dans ces pays, deux nouveaux mythes remplacent les vieilles sanctions : la justice réparative et la discipline positive. Pour Eirick Prairat, qui coordonne ce numéro, "tout le sel de la tâche éducative réside dans ce paradoxe : comment se servir de la contrainte pour rendre l’autre libre ?"

La sanction, pratique taboue ?

"La première surprise a été la difficulté à trouver des auteurs pour ce numéro", nous confie Eirick Prairat, coordonnateur du numéro 81 de la Revue internationale de Sèvres sur "la sanction en éducation". "Cette question a été frappée d’indignité intellectuelles dans les pays européens et nord-américains", explique t-il. "Question taboue. Pratique honteuse. La sanction a été considérée comme une question secondaire , comme si le coeur du travail éducatif se trouvait ailleurs".

Or pour E Prairat, la sanction est éducative et ce n’est pas "en décryptant les grands principes inscrits en lettre d’or au frontispice des institutions éducatives que l’on comprend ce que éduquer veut dire, mais en examinant la banlieue du travail éducatif".

Un tour du monde

C’est ce que le revue tente de faire avec un demi succès. Elle montre le maintien des châtiments corporels au Bénin et au Burkina Faso. En France S Ayral évoque les expulsions des collèges et le caractère fortement genré des punitions. En Algérie, les enseignants sont pris entre leurs aspirations à une éducation bienveillante et les demandes des parents et de la société pour une éducation traditionnelle prêchant l’obéissance. Les articles sur l’Angleterre et les Etats Unis tranchent puisqu’ils portent sur des établissements particuliers qui ont remplacé les sanctions par la justice restaurative. Au Québec, D Jeffrey montre comment les enseignants reviennent de la contestation de toute punition pour chercher de nouvelles règles de fonctionnement qui leur redonne de l’autorité.

Châtiments corporels et justice restaurative

E Prairat met en avant plusieurs constantes sur les sanctions. D’abord l’omniprésence des chatiments corporels dans l’histoire de l’éducation. Des pays comme le Bénin ou le Burkina Faso luttent pour en sortir mais tous l’ont connu. E Prairat souligne aussi l’omniprésence des expulsions d’établissement. La troisième constante c’est l’opposition entre parents et écoles : les parents réagissent contre les sanctions au lie de les appuyer comme c’était le cas il y a quelques années. Il souligne aussi "les promesses de la justice restaurative" très pratiquée dans les pays anglo saxons. Enfin il signale "les illusions de la discipline positive", une discipline sans sanction, dans la lignée d’AS Neill. Les enseignants québécois en vivent les limites.

Une approche plus philosophique que sociologique

Si le sujet est difficile à traiter au niveau international, on est frappé que ce numéro ne fasse pas plus appel à une approche sociologique. La participation d’E Debarbieux, un expert mondial de ces questions, ou de B Moignard, aurait apporté un autre regard sur les sanctions. En fait le numéro est déséquilibré entre les pays de tradition française où la sanction est abordée au niveau national et les pays protestants d’Europe du nord ou d’Amérique du Nord pour lesquels on n’a guère que des exemples d’établissements.

Ordre scolaire et ordre social

Il y a pourtant des études américaines sur les politiques de sanction dans les établissements. Et comme là bas comme chez nous, la sanction scolaire renvoie toujours aux inégalités sociales. La sanction en éducation n’est pas imperméable aux stéréotypes (de genre, de "race"). Elle n’est pas indépendante des conditions de vie des parents, des conditions matérielles des établissements (ségrégation sociale par exemple). En privilégiant l’approche philosophique on se prive finalement d’une réflexion plus poussée sur l’ordre scolaire et son rapport à l’ordre social.

Une autre dimension n’est qu’esquissée dans le numéro alors qu’il s’agit d’une vague de fond qui porte du positif et du négatif : c’est la judiciarisation croissante de l’ordre scolaire. Cela ne se fait pas seulement par une évolution spontanée des parents. Cela renvoie aussi au nouveau management public et à la notion d’usager qu’il développe vis à vis des services publics comme les écoles. On a là un phénomène mondial qui renvoie à un nouvel ordre mondial qui s’insinue aussi dans l’école. Le développement d’auxiliaires de justice spécialisés dans ce genre de conflit partout sur la planète, notamment en Russie, dit quelque chose de nos société et du déclin de l’institution scolaire.

Source : François Jarraud, le Café pédagogique

La sanction en éducation. Revue internationale d’éducation de Sèvres, n°81. ISBN 978-2-85420-624-1